Atelier CRECIB - Congrès SAES Limoges 2012
De Josephine Butler à Mary Whitehouse. Les mouvements britanniques pour la réforme morale entre progressisme et réaction
Le mouvement pour l’abolition de l’esclavage a servi de modèle à d’innombrables groupes de pression. On y a vu l’exemple même d’une cause morale oeuvrant pour la libération d’une partie du genre humain, voire de son ensemble, bref d’une alliance objective entre morale, foi et progressisme. A l’inverse, la morale et la foi ont souvent été mises en avant par des mouvements désireux de lutter contre une libération des mœurs perçue comme décadente. On serait donc tenté, dans le sillage d’un Roy Jenkins qui appelait de ses vœux l’avènement d’une civilised society à l’aube des années soixante (The Labour Case, Penguin, 1959), d’associer la notion de rigorisme moral à celle de conservatisme politique. Le fait que le projet thatchérien se soit donné à lire comme une entreprise de restauration morale tout autant que de radicalisme économique a renforcé cette perception, de même que certains épisodes ultérieurs comme la campagne « Back to Basics » lancée par John Major. Le schéma est d’autant plus séduisant qu’il paraît s’appliquer à d’autres sociétés (avec en prime, au moins dans le cas britannique, l’apparence d’un renversement complet de la dichotomie rigoristes/libertaires sur l’échiquier politique au cours du vingtième siècle, si l’on pense à la forte empreinte du méthodisme sur les premières générations de dirigeants travaillistes, par exemple).
L’analyse fait toutefois rapidement apparaître le caractère réducteur d’une telle présentation. Les clivages politiques, qui traversent d’ailleurs certains parcours individuels, ne suffisent pas à rendre compte de certains processus de mobilisation quand il s’agit d’abord de « lutter contre le péché ». Il n’est pas certain que des catégories plus pertinentes comme le milieu socio-culturel ou l’appartenance et la pratique religieuses épuisent le sujet. En outre, la périodisation suggérée plus haut (évolution de la droite vers la gauche du camp « libertaire ») fonctionne-t-elle en dehors de quelques individus de premier plan et de stratégies gouvernementales ? A quelles aspirations et à quelles inquiétudes répond ce type de mobilisation ? Quel a été son impact dans un siècle de sécularisation des esprits ? Où se situe la ligne de partage entre force d’émancipation et force d’oppression, de « réaction » et de « progrès » ? Quel regard porter sur l’historiographie et les études antérieures, souvent informées par des enjeux militants contemporains ?
L’une des ambitions de cet atelier sera d’appliquer ces questions, dans un cadre britannique qui n’exclura pas certaines études comparatives, à l’ensemble du champ des « croisades morales » (tempérance, jeu, sexualité, contraception et avortement, censure littéraire, théâtrale et filmique, droits des minorités sexuelles, observance du Sabbat, droits des animaux, etc. Cette multiplicité illustre la plasticité de la notion même de croisade morale). On se propose de reprendre le flambeau là où il a été déposé dans une étude récente (M. J-D. Roberts, Making English Morals. Voluntary Associations and Moral Reform in England, 1787-1886, Cambridge U P, 2004). Un point de départ possible serait la création en 1885 de la National Vigilance Association, point d’orgue de la campagne très ambivalente pour l’abolition des Contagious Diseases Acts, dont Josephine Butler ne représentait qu’un des pôles. Ces travaux permettront peut-être d’analyser l’évolution des débats sur la notion de permissivité, ainsi que sur les rapports entre religion, morale et politique (des années 1880 à la fin du vingtième siècle, voire au début du vingt-et-unième).
Observons enfin que le combat pour la réforme morale peut se lire comme la quête implacable d’une certaine forme de transparence, où la frontière entre vie publique et vie privée se trouve souvent remise en cause.
Prière d’adresser vos propositions avant le 5 décembre à Emmanuel Roudaut (IEP de Lille), emmanuel.roudaut(a)orange.fr
Le mouvement pour l’abolition de l’esclavage a servi de modèle à d’innombrables groupes de pression. On y a vu l’exemple même d’une cause morale oeuvrant pour la libération d’une partie du genre humain, voire de son ensemble, bref d’une alliance objective entre morale, foi et progressisme. A l’inverse, la morale et la foi ont souvent été mises en avant par des mouvements désireux de lutter contre une libération des mœurs perçue comme décadente. On serait donc tenté, dans le sillage d’un Roy Jenkins qui appelait de ses vœux l’avènement d’une civilised society à l’aube des années soixante (The Labour Case, Penguin, 1959), d’associer la notion de rigorisme moral à celle de conservatisme politique. Le fait que le projet thatchérien se soit donné à lire comme une entreprise de restauration morale tout autant que de radicalisme économique a renforcé cette perception, de même que certains épisodes ultérieurs comme la campagne « Back to Basics » lancée par John Major. Le schéma est d’autant plus séduisant qu’il paraît s’appliquer à d’autres sociétés (avec en prime, au moins dans le cas britannique, l’apparence d’un renversement complet de la dichotomie rigoristes/libertaires sur l’échiquier politique au cours du vingtième siècle, si l’on pense à la forte empreinte du méthodisme sur les premières générations de dirigeants travaillistes, par exemple).
L’analyse fait toutefois rapidement apparaître le caractère réducteur d’une telle présentation. Les clivages politiques, qui traversent d’ailleurs certains parcours individuels, ne suffisent pas à rendre compte de certains processus de mobilisation quand il s’agit d’abord de « lutter contre le péché ». Il n’est pas certain que des catégories plus pertinentes comme le milieu socio-culturel ou l’appartenance et la pratique religieuses épuisent le sujet. En outre, la périodisation suggérée plus haut (évolution de la droite vers la gauche du camp « libertaire ») fonctionne-t-elle en dehors de quelques individus de premier plan et de stratégies gouvernementales ? A quelles aspirations et à quelles inquiétudes répond ce type de mobilisation ? Quel a été son impact dans un siècle de sécularisation des esprits ? Où se situe la ligne de partage entre force d’émancipation et force d’oppression, de « réaction » et de « progrès » ? Quel regard porter sur l’historiographie et les études antérieures, souvent informées par des enjeux militants contemporains ?
L’une des ambitions de cet atelier sera d’appliquer ces questions, dans un cadre britannique qui n’exclura pas certaines études comparatives, à l’ensemble du champ des « croisades morales » (tempérance, jeu, sexualité, contraception et avortement, censure littéraire, théâtrale et filmique, droits des minorités sexuelles, observance du Sabbat, droits des animaux, etc. Cette multiplicité illustre la plasticité de la notion même de croisade morale). On se propose de reprendre le flambeau là où il a été déposé dans une étude récente (M. J-D. Roberts, Making English Morals. Voluntary Associations and Moral Reform in England, 1787-1886, Cambridge U P, 2004). Un point de départ possible serait la création en 1885 de la National Vigilance Association, point d’orgue de la campagne très ambivalente pour l’abolition des Contagious Diseases Acts, dont Josephine Butler ne représentait qu’un des pôles. Ces travaux permettront peut-être d’analyser l’évolution des débats sur la notion de permissivité, ainsi que sur les rapports entre religion, morale et politique (des années 1880 à la fin du vingtième siècle, voire au début du vingt-et-unième).
Observons enfin que le combat pour la réforme morale peut se lire comme la quête implacable d’une certaine forme de transparence, où la frontière entre vie publique et vie privée se trouve souvent remise en cause.
Prière d’adresser vos propositions avant le 5 décembre à Emmanuel Roudaut (IEP de Lille), emmanuel.roudaut(a)orange.fr
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